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Le dessinateur Frank Margerin, rédacteur en chef d'un
jour à Metro, se raconte..... Frank Margerin, 57 ans, est à lhonneur cette année
avec une nomination dans la sélection officielle du festival
international de la BD
Lucien, le célèbre rockeur à banane, est
né en 1979 pour un numéro spécial rock
de « Metal hurlant », alors piloté par Philippe
Manuvre, alors rédacteur en chef du magazine «
Metal Hurlant ». Il fêtera ses trente ans dexistence
à Angoulême à loccasion dune
grande exposition et dun neuvième tome («
Lucien Toujours la banane », chez Fluide glacial),
où il a pris trente ans de plus, des cheveux blancs et
un peu de bedaine. Rencontre avec Frank Margerin, 57 ans, à
lhonneur cette année avec une nomination dans la
sélection officielle du festival international de la
BD. Pourquoi avoir attendu huit ans entre le huitième tome
de « Lucien » et ce nouvel album ? Jai dessiné Lucien entre 1979 et 2000. Ensuite,
dautres projets mont obligé à le délaisser.
Je me suis notamment consacré pendant cinq ans à
la série « Momo le coursier », parue dans
« LEcho des savanes » avant dêtre
éditée en trois albums. Puis jai créé
une bande dessinée sur Shirley et Dino, dont je dessinais
déjà les affiches depuis une vingtaine dannées.
Nos univers sont très proches, et ils ont des vraies
« tronches » qui collent bien à la BD. Bref,
ça ma pris du temps ! Cest rare de faire vieillir les personnages de BD. Mais
vous, vous venez de donner à Lucien trente ans de plus
! Il était devenu ringard ? Quand jai commencé en 1979, il avait exactement
mon âge, ce qui me permettait de me raconter à
travers lui. Depuis, le monde a changé, et moi aussi.
Je ne peux plus raconter les mêmes histoires de rockers,
de mobylettes et de flippers. Lucien ne devait pas rester figé.
Je lai donc fait revenir dans les années 2000,
à lheure des ordinateurs portables, dInternet
et des jeux vidéo. Il est quinquagénaire, comme
moi, un peu largué sur certaines choses. On est plus
en osmose comme ça ! Etre quinquagénaire aujourdhui, cest toujours
rocknroll ? Avant, avoir 50 ans était synonyme de fin de vie. (Rires.)
Mais maintenant, tout le monde considère quon est
encore jeune desprit. Les enfants ont grandi, on peut
même recommencer une vie, faire un nouveau métier,
faire dautres enfants La vie ne sarrête
pas, loin de là ! Cest ce que jexprime dans
le dernier « Lucien ». Limportant, cest,
comme lui, de rester fidèle à ses convictions
: même sil a mis de côté son groupe
de rock pour gagner sa vie, Lucien a gardé ses rêves
intacts. Cest important pour toi de raconter ta propre vie ? Oui. Sans que je midentifie complètement à
lui, Lucien est en quelque sorte mon porte-parole. Encore plus
dans ce dernier album, où il est vraiment très
proche de moi. Je minspire de plein de choses observées
dans mon quotidien. Cest ça qui plait aux lecteurs,
car ils peuvent se reconnaître dans beaucoup de situations.
Il faut que ça sonne vrai ! Les autres personnages sont-ils, eux aussi, inspirés
de tes amis ou de ta famille ? Pas tous, mais beaucoup. Par exemple, mon ex-femme et sa fille,
que jai élevée, et mon fils sont un peu
« copiés-collés ». Gillou, un pote
de Lucien, est le double de mon frère Gilles, qui vit
aux Etats-Unis. Ricky est inspiré dun copain artiste,
etc. Combien de temps te prend la réalisation dun album
? Pour « Lucien », ça ma demandé
un an de travail. Je me suis fait aider par Fabrice Giger, directeur
des Humanoïdes associés, et, pour les idées
scénaristiques, par Jerry Frissen, un Belge installé
à Los Angeles. Tu as été désigné Grand Prix de
la ville dAngoulême en 1992. Depuis, dix-sept ans
ont passé. Quel regard portes-tu sur lévolution
actuelle de la bande dessinée ? Je trouve formidable que de nouvelles familles dauteurs
apparaissent à chaque époque. Au moment où
je créais Lucien, dans les années 70, il y a une
formidable révolution à la suite de léclatement
du journal « Pilote », alors dirigé par Goscinny.
A une époque où la BD franco-belge faisait surtout
la part belle aux westerns, à laventure, aux histoires
de guerre et de pirates, beaucoup dauteurs ont eu envie
douvrir dautres horizons et de sexprimer en
toute liberté. Ça a donné « Métal
Hurlant », avec Druillet et Moebius, « LEcho
des savanes » avec Mandryka et Brétecher, «
Fluide glacial » avec Gotlib Et puis il y a eu la
vague underground américaine, avec Crumb et des auteurs
qui osaient parler de drogue, de sexe Lucien a été
nourri par toutes ces influences.
Et depuis 1992, ça a encore sacrément bougé
! La vague des mangas, la montée de lhéroic
fantasy, sans oublier les travaux dauteurs qui ont démarré
chez des éditeurs indépendants comme LAssociation
: toute une école (Blain, Blutch ) qui tourne autour
du journal intime, avec une recherche graphique très
esthétisante. Cest parfois élitiste, mais
ces auteurs font du bien à la BD. Jaime ça,
même si jadore encore ces bons vieux albums à
gros nez. Enfin, il y a les blogs, qui permettent de faire des
nouvelles choses très intéressantes. Un outil
bien utile pour les jeunes auteurs On pourra peut-être
se passer un jour des éditeurs. Qui sait ? Est-ce plus difficile aujourdhui de percer dans la bande
dessinée ? La production est devenue énorme. Les libraires sont
dépassés, les lecteurs aussi. Cest de la
démence ! Alors, forcément, les libraires nont
pas toujours la possibilité de mettre en évidence
les albums de jeunes dessinateurs talentueux. Alors, pour essayer
de percer aujourdhui, vive Internet ! Quels sont les auteurs qui te plaisent ? Jaime beaucoup Jean-Claude Denis et le tandem Dupuy-Berberian.
Riad Sattouf me fait vraiment marrer. Et jadmire le travail
dArthur de Pins, qui a 32 ans. Ses « Péchés
mignons » sont très drôles, et dans son dessin,
il a réussi à digérer plusieurs influences,
comme le manga et les cartoons. Cest à la fois
rétro et moderne. Cest très chouette ! As-tu de futurs albums en cours ? Le prochain album sera encore un « Lucien », mais
en histoires courtes. Autre projet : redonner une chance, sur
une chaîne télé, aux dessins animés
de « Manu », qui passaient il y a quelques années
en format 2 puis 8 minutes. Et puis une compilation en DVD,
ce serait vraiment pas mal Que vas-tu faire à Angoulême ? Je vais inaugurer lexpo « Lucien », et chaque
jour, jusquà dimanche, un concours dAir Guitar
va y être organisée. Je vais tenter dy participer.
Après tout, je joue déjà dix fois mieux
de la guitare en faisant semblant quen jouant vraiment.
(Rires.) Vendredi, je vais aussi participer à un match
dimpro de dessins : deux équipes de dessinateurs
et de comédiens vont saffronter, et le public nous
départagera. Et le soir, je devrais chanter deux-trois
trucs avec Berberian et Jean-Claude Denis lors dune soirée
Fluide glacial. Il y a fort longtemps, cest toi qui dessinais les images
des chewing-gums Malabar. Un bon souvenir ? Professionnellement, pas vraiment. Cétait un boulot
alimentaire. Mais ça ma apporté une certaine
rigueur dans mon travail. En tout cas, je me souviens que les
publicitaires de Malabar allaient tester mes dessins sur des
enfants pour voir si cétait vraiment drôle.
Je précise quand même que les textes nétaient
pas de moi. Moi, je ne faisais que dessiner ce quon me
demandait. (Rires.)
Propos recueillis par Olivier Aubrée
Metrofrance.com